Les nouveautés genevoises pour les propriétaires en matière d’assainissement énergétique des bâtiments

25.07.2024

Real Estate 1

I. INTRODUCTION

A Genève, environ 40% du bilan carbone du canton est lié aux bâtiments. Il s’agit du secteur le plus producteur d’émission de gaz à effet de serre, devant les biens de consommation et les transports. Logiquement, suite à l’adoption de son plan climat en 2021, le gouvernement genevois (Conseil d’Etat) a fait de l’assainissement énergétique du parc immobilier une priorité. Récemment, des nouvelles obligations en la matière sont entrées en vigueur pour les propriétaires (infra III). Comme nous le verrons, la possibilité de répercuter les coûts des travaux sur les loyers sera très limitée à Genève (infra V). Enfin, les besoins financiers liés aux objectifs de la réglementation imposant la rénovation du parc immobilier nécessitent des aides publiques. Le parlement cantonal (Grand Conseil) a donc prévu une augmentation significative des subventions destinées aux propriétaires privés et publics (infra IV).   

II. HISTORIQUE

Le 4 décembre 2019, le Conseil d’Etat genevois a décidé de déclarer l’urgence climatique et de renforcer les objectifs climatiques cantonaux. Le 2 juin 2021, le Conseil d’Etat a présenté son nouveau plan climat cantonal. Celui-ci vise une diminution de 60% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone au plus tard en 2050.

Le plan climat cantonal comprend sept axes stratégiques. Le premier est consacré à l’énergie et aux bâtiments. En 2012, les bâtiments, toutes affectations comprises, représentaient environ 40% des émissions de gaz à effet de serre du canton de Genève. A l’heure actuelle, le chauffage des bâtiments et la production d’eau chaude sanitaire proviennent à 90% d’énergies fossiles. Afin d’atteindre les objectifs que le Conseil d’Etat s’est fixé en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le plan climat cantonal prévoit de renforcer les mesures en lien (i) avec la réduction des besoins énergétiques des bâtiments et avec (ii) la décarbonisation de leur approvisionnement énergétique.

En se fondant sur le plan directeur de l’énergie 2020-2030 et le plan climat cantonal, le Conseil d’Etat a modifié au printemps 2022 le règlement d’application de la loi sur l’énergie (REn) qui prévoit notamment de substituer les énergies fossiles au profit des énergies renouvelables lors du changement des installations de production de chaleur et l’abaissement du seuil de dépense de chaleur (IDC) (de 800 MJ/m2/an à 450 MJ/m2/an). Le REn est entré en vigueur le 22 avril 2022.

Le 5 février 2024, le Département du territoire genevois et quinze organisations partenaires ont signé un accord pour assainir le parc bâti. L’accord a principalement permis (i) d’augmenter le montant des subventions destinées aux propriétaires privés (par rapport au montant initialement prévu par le Conseil d’Etat) et (ii) de permettre à certaines catégories de propriétaires (de villas et petits bâtiments) de disposer d’un délai supplémentaire de 3 ans pour répondre aux obligations de rénovation.

Le 21 mars 2024, le Grand Conseil a adopté – à la quasi-unanimité – une modification de la loi sur l’énergie (LEn) qui reprend le contenu de cet accord. Elle est entrée en vigueur le 1er juin 2024. 

III. OBLIGATIONS POUR LES PROPRIETAIRES

    1. Introduction

La nouvelle loi sur l’énergie et son règlement ont introduit de nouvelles et importantes obligations pour les propriétaires de bâtiments. Le calcul annuel de l’IDC est désormais obligatoire pour les bâtiments chauffés. Lors que l’IDC dépasse un certain seuil, un audit énergétique et des optimisations sont exigés. Si l’IDC dépasse « significativement » ce seuil, des travaux de rénovation énergétique sont imposés. Enfin, un système alimenté prioritairement par des énergies renouvelables et de récupération doit être installé lors de la mise en place, du remplacement ou de la transformation d’une installation de production de chaleur (tout dispositif destiné à fournir du chauffage, de l’eau chaude sanitaire ou de l’énergie thermique).

    2. Indice de dépense de chaleur (IDC)

Le seuil de l’indice de dépense de chaleur (IDC) est un indicateur de la consommation de chauffage d’un bâtiment. Pour le calculer, il convient de diviser la consommation d’énergie thermique annuelle du bâtiment (chauffage + eau chaude sanitaire) par la surface chauffée (soit la surface de référence énergétique qui se calcule selon la norme SIA 380 « Bases pour les calculs énergétiques des bâtiments »).

Le calcul de l’IDC permet notamment (i) d’évaluer la performance énergétique d’un bâtiment et la comparer d’une année à l’autre, (ii) de détecter d’éventuels dysfonctionnements ou (iii) de situer la performance énergétique d’un bâtiment par rapport à un bâtiment de même catégorie. Le propriétaire ou son mandataire a l’obligation de communiquer l’IDC chaque année à l’Office cantonal de l’énergie (OCEN).

Le résultat doit être communiqué avant le 30 juin de chaque année en ce qui concerne l’IDC de l’année précédente. Cet office a mis en place un réseau de concessionnaires disposant d’une habilitation à calculer l’IDC (architectes, bureaux d’études ou géomètres). Chaque propriétaire peut donc mandater l’entreprise de son choix. Si l’IDC ou les données nécessaires à son calcul ne sont pas communiqués dans les délais impartis, l’OCEN procède au calcul sur la base des relevés de consommations d’énergie en sa possession.

    3. Audit énergétique et mesures d’optimisation

Il y a un dépassement du seuil IDC lorsque l’IDC moyen des 3 dernières années est supérieur à 450 MJ/m2/an (125 kWh/m2/an). Les propriétaires de bâtiments dont l’IDC est compris entre 125 kWh/m2/an et 222 kWh/m2/an (450 MJ/m2/an et 800 MJ/m2/an) sont tenus de :

  • faire réaliser un audit énergétique afin d’évaluer la conformité du bâtiment et de ses installations aux prescriptions applicables en matière énergétique et d’identifier les mesures d’optimisation ou les travaux d’amélioration qui pourraient être mis en œuvre ; et
  • procéder à tout ou partie des mesures ainsi identifiées afin de réduire la consommation énergétique du bâtiment, en vue de ramener l’IDC en deçà du seuil de 125 kWh/m2/an ((450 MJ/m2/an).

C’est le Département du territoire (en particulier l’OCEN) qui rend une décision en la matière. L’audit énergétique, de même que l’exécution des mesures d’optimisation ou des travaux d’amélioration identifiés par cet audit doivent en principe être mis en œuvre dans un délai de 12 mois suivant la décision administrative.

    4. Dispense d’audit énergétique

Si l’IDC se situe entre 450 MJ/m2/an (125 kWh/m2/an) et 550 MJ/m2/an (153 kWh/m2/an), l’établissement d’un audit énergétique n’est pas requis si la réalisation de mesures d’amélioration énergétique (à ne pas confondre avec la notion de « travaux énergétiques ») suffit à ramener l’IDC en dessous de 450 MJ/m2/an (125 kWh/m2/an). On entend par mesure d’amélioration toute mesure d’optimisation énergétique de l’exploitation du bâtiment définie par le cahier technique SIA 2048, édition 2015, ainsi que toute mesure permettant une réduction de la consommation énergétique du bâtiment. Il peut par exemple s’agir de la souscription d’un contrat d’optimisation et/ou de performance énergétique, la mise en place d’un système de régulation et de suivi de la consommation, de la production et de la distribution de chaleur, l’isolation des conduites, la mise en place de vannes thermostatiques ou l’installation d’équipements sanitaires plus économes (par ex. suppression des baignoires ou baignoires plus petites).

    5. Travaux de rénovation énergétique obligatoires

Si l’IDC dépasse fortement le seuil de dépassement significatif de 800 MJ/m2/an (222 kWh/m2/an), les propriétaires ont l’obligation de procéder à des travaux énergétiques afin de ramener l’IDC de leur bâtiment en dessous du seuil (450 MJ/m2/an). On entend par « travaux énergétiques », tous les travaux d’isolation de l’enveloppe thermique du bâtiment (isolation des murs, de la toiture ou des sous-sols), remplacement des fenêtres, installation de panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques, la mise en place d’un système de récupération des rejets de chaleur, etc.

Cette valeur de dépassement dite « significative » sera progressivement abaissée au cours du temps, dans le but d’assainir le parc immobilier. Les valeurs suivantes seront applicables : (a) 800 MJ/m2/an (222 kWh/m2/an) jusqu’au 31 décembre 2026, (b) 650 MJ/m2/an (180 kWh/m2/an) dès le 1er janvier 2027 jusqu’au 31 décembre 2030 et (c) 550 MJ/m2/an (153 kWh/m2/an) dès le 1er janvier 2031.

Ce dispositif a été décalé de 3 ans pour villas et petits immeubles de la manière suivante : (a) 800 MJ/m2/an (222 kWh/m2/an) jusqu’au 31 décembre 2029, (b) 650 MJ/m2/an (180 kWh/m2/an) dès le 1er janvier 2030 jusqu’au 31 décembre 2033 et (c) 550 MJ/m2/an (153 kWh/m2/an) dès le 1er janvier 2034.

     6. Installations productrices de chaleur

Le Conseil d’Etat a défini un objectif principal pour les installations productrices de chaleur dans les bâtiments : elles doivent être alimentées prioritairement par des énergies renouvelables ou des rejets de chaleur, l’énergie des pompes à chaleur étant assimilée à une énergie renouvelable.

Cet objectif s'applique non seulement aux nouvelles installations, mais aussi aux installations existantes qui doivent être remplacées ou transformées.

Ces exigences peuvent être satisfaites via un raccordement aux réseaux thermiques structurants (exploités par les SIG et indiqués dans le Plan directeur des énergies de réseau) si le bâtiment se situe dans le périmètre de ces infrastructures ou via un raccordement à un réseau thermique non-structurant (i.e. qui doit être alimenté au minimum par des énergies renouvelables avec un objectif de 80% à l’horizon 2030) ou l’installation d’une solution décentralisée si le bâtiment ne peut pas être raccordé à un réseau thermique structurant.

Par ailleurs, le simple changement d’un brûleur, ou même de tout autre composant annexe, d’une installation datant de plus de 20 ans doit être considéré comme équivalent à une transformation de l’installation concernée.

Toute mise en place, remplacement ou transformation d’installations de production de chaleur alimentées par des combustibles fossiles nécessite une autorisation dès lors que la puissance thermique nominale globale dépasse 5 kW.

IV. SUBVENTIONS

    1. Enveloppe financière globale à disposition

Afin de mettre ces nouvelles mesures en œuvre, une enveloppe financière de CHF 550 millions est prévue. Ce montant sera réparti à 70% en faveur du secteur privé et 30% en faveur du secteur public (communes et établissements publics autonomes). CHF 500 millions seront versés en tant que subventions et une enveloppe de CHF 50 millions permettra d’octroyer des prêts aux propriétaires privés.

Ce montant de subvention vient compléter le crédit d’investissement de CHF 1 milliard adopté en mars 2023 par le parlement cantonal qui permettra l’assainissement énergétique du parc immobilier de l’Etat (environ 1'500 bâtiments sont potentiellement concernés).

Cette nouvelle enveloppe de CHF 550 millions permettra une hausse significative des subventions pour les propriétaires concernant les travaux suivants :

  1. L'isolation thermique de la façade, du toit, des murs et du sol contre terre
  2. L'amélioration de la classe du Certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB) pour l'enveloppe et l'efficacité énergétique globale ;
  3. Les rénovations HPE ou THPE ;
  4. L'installation de capteurs solaires thermiques et ventilation dans les habitations.

Les projets visés pouvant faire l’objet d’une demande d’aides financières sont les installations techniques et les travaux visant une amélioration de l’enveloppe thermique des bâtiments, et qui contribuent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux bâtiments situés sur le territoire du canton.

    2. Demandes de subvention et barème

        2.1 Général

La personne requérante doit déposer son dossier auprès de l’OCEN et devra démontrer le bénéfice environnemental du projet de rénovation, c’est-à-dire que le projet permet d’atteindre les objectifs du canton en matière de transition écologique. Les demandes de subventions peuvent se faire via la plateforme du Programme Bâtiments de l’Etat de Genève (https://portal.leprogrammebatiments.ch/ge). Elles doivent être déposées avant le début des travaux faisant l’objet de la demande de subvention, par exemple au moment de la délivrance de l’autorisation de construire.

L’OCEN a rappelé que les décisions d’octroi d’une subvention sont prises dans la limite du budget disponible (supra IV.1) et les dossiers sont traités par ordre d’arrivée.

Les travaux faisant l’objet de la demande de subvention doivent avoir été réalisés dans les deux ans à compter de l’entrée en force de la décision d’octroi de subvention.

       2.2 Objets subventionnés

Une demande de subvention par numéro « EGID » (identificateur fédéral par bâtiment) et par adresse postale doit être déposée. Seuls les travaux effectués sur des éléments du bâtiments déjà chauffés à l’état inial donnent droit à une subvention.

L’octroi de l’aide financière doit contribuer de manière mesurable à (i) l’amélioration de la performance énergétique du parc bâti du territoire cantonal et à (ii) la réduction des émissions de gaz à effet de serre induites par les bâtiments existants sis sur le territoire cantonal.

        2.3 Qui est éligible ?

Les subventions sont accordées pour des bâtiments situés sur le territoire du canton de Genève, propriété de personne physique, morale, établissement de droit public autonome, ou commune.

Des subventions et des aides complémentaires peuvent être accordées (i) aux propriétaires de bâtiments d’habitation qui occupent leur logement, (ii) aux propriétaires démontrant être dans l’incapacité de financer entièrement l’assainissement énergétique de leurs bâtiments, ou (iii) en cas de disproportion économique démontrée. Les notions d’incapacité financière et de disproportion économique doivent encore être précisées. L’OCEN a toutefois déjà précisé que les situations individuelles seront traitées de manière proportionnée, en tenant compte de l’âge et de la situation financière des propriétaires, ainsi que du potentiel de développement du quartier et du statut patrimonial du bâtiment.

        2.4. Montants et barèmes

Le montant de la subvention ne peut en principe pas dépasser 50% du coût des travaux en lien avec la demande de subvention. Le canton de Genève a publié un guide concernant les barèmes de subvention (par ex. CHF/m2 de surface de référence énergétique et type de travaux ou montant forfaitaire pour certaines mesures ou travaux). Il est accessible à l’adresse suivante : https://www.ge.ch/media/document/2024-05/BaremeSubventionsAccordRenovationEnergie.pdf.

V. RENOVATIONS ENERGETIQUES : QUEL IMPACT SUR LES LOYERS ?

Alors que le droit fédéral (art 269a lit. b CO et art. 14 al. 2 OBLF) permet une répercussion complète des coûts de travaux d’entretien et d’amélioration énergétique sur le loyer (ceci pour autant qu’ils soient de nature à induire une réduction des frais accessoires à charge du locataire), la loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR) limite fortement la possibilité de répercuter les coûts de ce type de travaux sur le locataire.

Tout logement d’habitation (sauf les maisons individuelles sises en zone villa (5)) est soumis à la LDTR. Cette loi, souvent décriée, vise à limiter les travaux de transformation qui ont pour conséquence de faire basculer des logements répondant aux besoins prépondérants de la population dans des catégories moins abordables voire de luxe. Ainsi, la LDTR exige qu’une autorisation soit délivrée pour toute transformation ou rénovation. Les loyers des immeubles reconstruits après une démolition ou ayant fait l’objet de travaux soumis à autorisation sont fixés par l’Etat et contrôlés pendant un certain nombre d’années (3, 5 ou 10 ans). Lorsqu’il autorise une démolition-reconstruction ou des travaux de transformation/rénovation, le Département du territoire fixe le montant maximum des loyers des logements après travaux. En résumé, après les travaux, le loyer par pièce et par an ne peut pas dépasser le « plafond » LDTR fixé en 2024 par le gouvernement cantonal à CHF  3'528 par pièce/an. Les loyers des logements de luxe ou des logements dont le loyer dépasse (avant les travaux) de 2,5 fois le plafond LDTR (CHF 8'820) ne sont toutefois pas soumis à un contrôle étatique.

Ainsi, tant que ce plafond LDTR (CHF  3'528 par pièce/an) n’est pas atteint suite aux rénovations énergétiques, les bailleurs peuvent calculer et répercuter la hausse de loyer selon les principes du droit du bail (art. 14 OBLF) qui fait la distinction entre travaux ordinaires et travaux d’amélioration énergétique. En revanche, il n’est en principe pas possible d’augmenter le loyer si le plafond LDTR est atteint. La LDTR permet toutefois de « déplafonner » le loyer d’au maximum CHF  120 par pièce/an (soit CHF 3'648 par pièce/an au maximum), étant précisé que ce montant doit correspondre à la baisse prévisible des charges calculée à l’aide des formulaires mis à disposition par le Département du territoire. Ce « déplafonnement » ne sera toutefois pas autorisé, si le bailleur a perçu des subventions publiques pour son projet d’assainissement énergétique.

Cliquez ci-dessous pour télécharger ce Bulletin (pdf):

Si vous avez des questions en lien avec ce bulletin, merci de contacter :