Obligations des intermédiaires d’assurance non liés sous le nouveau droit sur la surveillance des entreprises d’assurance
22.11.2024
I. INTRODUCTION
La règlementation fédérale en matière de surveillance des entreprises d’assurance (LSA) a fait l’objet d'importantes révisions en 2024.
En particulier, la distinction entre les intermédiaires d’assurance « liés » et « non liés » a été reformulée, et les exigences auxquelles ces intermédiaires doivent se conformer ont été renforcées, particulièrement en ce qui concerne les intermédiaires d’assurance non liés.
Selon la LSA et son ordonnance d’application[1], un intermédiaire d’assurance est une personne qui propose ou conclut un contrat d’assurance dans l’intérêt d’une entreprise d’assurance ou d’une autre personne[2]. Lorsque cet intermédiaire propose la conclusion de contrats d'assurance avec des personnes domiciliées en Suisse, ou pour des choses situées en Suisse, l’intermédiaire d’assurance est, sauf exceptions, soumis à surveillance[3].
II. INTERMEDIATION LIEE ET NON LIEE
Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, tout intermédiaire d’assurance entretenant un rapport de loyauté avec les preneurs d’assurance et agissant dans leur intérêt est considéré comme un intermédiaire d’assurance non lié[4].
À l’inverse, tout autre intermédiaire d’assurance, notamment ceux liées par un contrat de travail avec une entreprise d’assurance, entre dans la catégorie résiduelle[5] des intermédiaires d’assurance liés.
La possibilité pour un intermédiaire d’assurance de se lier à plusieurs assureurs, qui existait déjà avant 2024, ne semble pas avoir été remise en cause. Cela étant, ces intermédiaires doivent se conformer aux nouvelles exigences en matière de gestion des conflits d'intérêts et d’information.
Le rapport de loyauté envers les preneurs d’assurance, indiquant que l’intermédiaire n’agit pas comme un auxiliaire d’un assureur mais bien comme un tiers, implique le respect de plusieurs obligations organisationnelles et personnelles, accrues depuis la révision de 2024.
Par ailleurs, le respect de ces exigences incombe non seulement aux intermédiaires d’assurance non liés mais à tout intermédiaire d’assurance donnant l’impression au preneur d’assurance de fournir les prestations en tant qu’intermédiaire d’assurance non lié, quel que soit son statut réel[6].
III. COMPORTEMENTS PROHIBES ET CONFLITS D'INTERETS
En vertu de l’art. 40 al. 2 LSA, les intermédiaires d’assurance non liés ne sont pas autorisés à s’engager dans une collaboration avec une entreprise d’assurance qui limiterait leur indépendance, et ne peuvent en aucun cas représenter une entreprise d’assurance.
Le législateur a de surcroît prohibé certains comportements et conflits d’intérêts, que l’intermédiaire d’assurance non lié doit prévenir au moyen de mesures organisationnelles adéquates[7]. Ces limitations permettent, in fine, de dresser des critères de délimitation supplémentaires de l’intermédiation non liée, faisant écho aux distinctions prévues dans l’ancien droit.
Ces critères sont les suivants[8] :
- Conclusion d’accords de coopération ou d'autres accords avec des assureurs restreignant la liberté de l’intermédiaire à exercer une activité pour d’autres entreprises d’assurance ;
- Détention directe ou indirecte, par l’intermédiaire d’assurance, de plus de 10% du capital d'une entreprise d’assurance ;
- Détention directe ou indirecte, par une entreprise d’assurance, de plus de 10% du capital de l’intermédiaire d’assurance ;
- Exercice d’une fonction dirigeante, ou de toute influence sur l'activité d'une entreprise d'assurance, par l’intermédiaire d’assurance non lié ou les personnes chargées de son administration, de sa gestion, ou qui détiennent au moins 10% de son capital ;
- Exercice d’une fonction dirigeante, ou de toute influence sur l'activité de l’intermédiaire d’assurance, par une entreprise d’assurance ou les personnes chargées de son administration, de sa gestion, ou qui détiennent au moins 10% de son capital.
IV. NOUVELLES EXIGENCES
La règlementation actuelle, comprenant les révisions de la LSA et de l’OS du 1er janvier 2024 et du 1er septembre 2024, l’ordonnance de la FINMA sur la surveillance des entreprises d’assurance privées (OS-FINMA) entrée en vigueur au 1er septembre 2024, ainsi que l’autorégulation approuvée par la FINMA le 23 août 2024, impose un certain nombre d’exigences organisationnelles et personnelles aux intermédiaires d’assurance non liés.
1. Inscription au registre FINMA
En premier lieu, depuis le 1er janvier 2024 seuls les intermédiaires d’assurance non liés sont tenus de s’inscrire au registre des intermédiaires d’assurance de la FINMA. Cette inscription est une condition préalable à l’exercice de l’activité en tant qu’intermédiaire d’assurance non lié.
Lors de leur inscription, les intermédiaires d’assurance non liés doivent prouver leur conformité avec un certain nombre d’obligations, décrites ci-après, ainsi que fournir un certain nombre documents, indiqués à l’Annexe 6 de l’OS[9].
Par ailleurs, les intermédiaires inscrits doivent s’acquitter de frais d’enregistrement et d’une taxe de surveillance annuelle.[10]
À noter que les intermédiaires d’assurances liés peuvent être inscrits au registre dans le cas où leur inscription au registre suisse est une condition préalable à l’exercice de leur activité à l’étranger, et pour laquelle l’État concerné exige leur inscription.
2. Obligations organisationnelles
En plus de la prévention des conflits d’intérêts mentionnée au III supra, les intermédiaires d’assurance non liés doivent respecter les obligations organisationnelles ci-dessous.
a. Présence en Suisse
Les articles 41 al. 2 lit. a LSA et 186 OS requièrent que les intermédiaires d’assurance non liés disposent d'un domicile, d'un siège social ou d'une succursale en Suisse et que leurs employés exercent l'activité d'intermédiation en assurance à partir d'un lieu situé en Suisse.
Cette nouvelle exigence signifie que les intermédiaires d’assurance étrangers, opérant sans présence physique en Suisse, ne peuvent plus exercer leurs activités en Suisse. Des dérogations ne sont admises que pour des motifs légitimes et à condition que l'État du siège applique une réglementation équivalente ou qu'une convention internationale le prévoie.
b. Gouvernance
Les intermédiaires d'assurance non liés doivent satisfaire à des exigences minimales en matière de gouvernance en fonction de leur taille, de la complexité et de leur forme juridique, ainsi que de la nature des services d’assurance proposés et des risques associés.
En particulier[11], il est impératif de garantir une attribution claire des responsabilités, des compétences et des chaînes hiérarchiques. En outre, les fonctions opérationnelles doivent être distinctes des fonctions de contrôle. L’intermédiaire d’assurance non lié doit également disposer d’une documentation appropriée, notamment pour prouver qu’il respecte ses obligations d’information prévues à l’art. 45 LSA. De plus, il doit établir des principes, processus et structures assurant sa conformité avec les obligations légales, réglementaires et internes. Il doit par ailleurs définir des exigences relatives au comportement attendu de ses collaborateurs ainsi qu’à leurs aptitudes et connaissances, et mettre en place un mécanisme de contrôle permettant une gestion des risques liés aux cocontractants que l’intermédiaire pourrait avoir mandaté.
3. Obligations personnelles
a. Exercice des droits civils et bonne réputation
En vertu des art. 41 al. 2 lit. b LSA et 187 OS, les intermédiaires d’assurance doivent avoir l’exercice des droits civil et jouir d’une bonne réputation.
L’obligation de bonne réputation concerne tant l’intermédiaire d’assurance que, depuis le 1er janvier 2024, les personnes en charge de son administration, de sa gestion ainsi que les personnes détenant une participation directe ou indirecte de plus de 10% de son capital. En particulier, ces personnes ne doivent pas avoir été condamnés pénalement pour des actes incompatibles avec l’activité d’intermédiaire d’assurance et l'inscription de ces condamnation au casier judiciaire doit avoir été radiée. Ils ne doivent en outre pas non plus faire l'objet d'un acte de défaut de biens en relation avec des actes incompatibles avec l’activité d’intermédiaire d’assurance.
Bien que la formulation de l' art. 41 LSA plaide en faveur de fait que cette obligation ne s’applique qu’aux intermédiaires d’assurance non liés, l’art. 46 al. 1 lit. b LSA et, in fine, l’art. 187 OS laissent à penser que cette obligation s’applique à tous les intermédiaires d’assurances.
b. Garanties financières
En vertu des art. 41 al. 2 LSA et 189 OS, les intermédiaires d’assurance doivent conclure une assurance responsabilité civile professionnelle auprès d’une entreprise d’assurance soumise à la LSA, avec des sommes et des conditions de couverture minimales déterminées. Le montant de cette couverture s’élève à CHF 2 millions au minimum, et augmente par pallier en fonction du nombre d'employés de l’intermédiaire.
Subsidiairement, les intermédiaires d’assurance peuvent fournir des garanties financières équivalentes que la FINMA approuvera au cas par cas, ou être couverts par l’assurance d’un tiers dont la couverture s’étend à l’intermédiaire d’assurance ; ce qui sera typiquement le cas pour des intermédiaires d’assurance liés.
4. Obligations d’information
a. Avant la conclusion du contrat d’assurance
Le devoir d’information mentionné à l’article 45 LSA continue d’exister sous le nouveau droit. Ces informations doivent être fournies au preneur d’assurance sous une forme compréhensible avant la conclusion du contrat d’assurance. Elles comprennent notamment le fait que l’intermédiaire d’assurance est lié ou non lié.
Par ailleurs, en vertu de l’art. 45a LSA, tout conflit d’intérêt pour lequel un désavantage pour les preneurs d’assurance ne peut être exclu devra être communiqué au prospect en amont de la conclusion du contrat d’assurance.
b. En cas de conflit d’intérêts
Si, malgré les mesures organisationnelles prévues, il n’est pas possible d’éviter de désavantager les preneurs d’assurance ou seulement moyennant des efforts disproportionnés, l’intermédiaire d’assurance doit le communiquer de manière adéquate au client concerné.
À cette fin, il doit décrire les conflits d’intérêts découlant de la fourniture de la prestation d’assurance en question et présenter au preneur d’assurance de façon générale et compréhensible les circonstances à l’origine du conflit d’intérêts, les risques qui pourraient en découler pour lui et les mesures prises par l’intermédiaire d’assurance pour réduire ces risques.
c. Publicité des rémunérations
Selon l’art. 45b LSA, les intermédiaires d’assurance non liés ne peuvent accepter des rémunérations (e.g., commissions de courtage, provisions, rabais, avantages pécuniaires) de la part d’entreprises d’assurance ou d’autres tiers que s’ils ont expressément informé les preneurs d’assurance de cette rémunération.
En outre, lorsque les intermédiaires d’assurance non liés sont rétribués par les preneurs d’assurance, ils ne peuvent accepter de rémunération de la part d’entreprises d’assurance ou de tiers uniquement si la rémunération est intégralement transférée au preneur d’assurance, ou si le preneur d’assurance a explicitement renoncé à ce transfert après en avoir été expressément informé.
Cette notification de l’intermédiaire d’assurance non lié doit être effectuée en amont de la fourniture du service ou de la conclusion du contrat. En outre, elle doit contenir le type de rémunération et son montant ou, à défaut, de la méthode de calcul et d’un ordre de grandeur. Sur demande, les intermédiaires d’assurance communiquent les montants effectivement reçus.
d. Communications à la FINMA
Les intermédiaires d’assurance enregistrés, i.e., principalement les intermédiaires d’assurance non liés, sont tenus de confirmer annuellement que les informations fournies à la FINMA sont conformes à la vérité et sont à jour.
En outre, selon l’art. 91 al. 1 et 2 OS-FINMA, ces intermédiaires doivent communiquer à la FINMA toute modification de tout fait fondant leur enregistrement immédiatement après en avoir pris connaissance – soit les informations et documents indiqués à l’Annexe 6 de l’OS, voir IV.1. supra.
De surcroît, selon l’art. 185 al. 2 OS, une autorisation de la FINMA doit être obtenue avant la poursuite de l’activité dans le cas où ces dites modifications sont d’une « importance déterminante ».
Bien que cette notion n’ait pas été définie par le législateur, ni développée par la FINMA dans le contexte de l’intermédiation d’assurance, nous sommes d’avis qu’un parallèle peut être effectué avec les exigences en matière d’intermédiation financière, notamment avec la notion de « modifications significatives » des art. 8 al. 2 LEFin et 10 OEFin. En particulier, toute prise de participation qualifiée du capital de l’intermédiaire d’assurance enregistré doit à notre sens être notifiée et autorisée par la FINMA en amont de la prise de participation.
Par ailleurs, la FINMA est en droit de demander des informations et des documents supplémentaires si elle le juge nécessaire pour valider l’enregistrement ou toute mise à jour du registre.
e. Rapport à la FINMA
Dès le 31 décembre 2024, les intermédiaires d’assurance non liés sont tenus de remettre un rapport à la FINMA chaque année.[12]
Ces rapports contiennent des indicateurs et informations essentielles que la FINMA estime nécessaires à la surveillance de l’activité des intermédiaires. La liste de ces informations est accessible sur le site internet de l’autorité[13]. Selon le rapport explicatif[14], le but de cette disposition est de permettre une « surveillance préventive » afin de protéger efficacement les clients contre les abus.
La FINMA veille à respecter le principe de proportionnalité lors de la collecte desdits indicateurs et informations. Le type et l'étendue des données demandées dépendront notamment des risques auxquels les assurés sont concrètement exposés et le type de clientèle, i.e., privée ou d’affaires.
Quant aux intermédiaires d’assurance liés, la FINMA ne pourra récolter des indicateurs et des informations sur leur réputation et le respect de leurs obligations que de manière indirecte, dans le cadre de ses activités de surveillance des entreprises d'assurance.
5. Obligations de formation
Avant le 1er janvier 2024, les intermédiaires d'assurance devaient déjà disposer des compétences et des connaissances nécessaires à l’exercice de leur activité.
Avec cette réforme, le législateur a prévu que cet aspect soit concrétisé par l’autorégulation. En effet, il a délégué à l’industrie la tâche d’établir des normes minimales en matière de formation initiale et de formation continue.
L’Association pour la formation professionnelle en assurance (AFA) a édicté de telles normes. En vertu de l’art 190 OS, celles-ci couvrent les exigences en matière d’acquisition, conseil et suivi de la clientèle, de connaissance du secteur de l’assurance ainsi que des spécificités liées à l’activité de l’intermédiaire (e.g., assurance vie, non-vie, réassurance). L’AFA a en outre édicté les modalités d’examens attestant de la formation initiale et continue des intermédiaires.
Pour les intermédiaires d’assurance non liés, la formation initiale est une condition préalable à l’inscription au registre de la FINMA. Cependant, pour les intermédiaires d’assurance déjà inscrits au registre au 1er janvier 2024, un délai transitoire de deux ans suivant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation a été accordé pour leur permettre de satisfaire aux exigences en matière de formation continue[15].
Le 23 août 2024, la FINMA a approuvé les normes minimales édictées par l’AFA, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2024. Ces normes minimales ont donc un statut contraignant, et l’AFA est responsable de leur mise en œuvre technique.
6. Dispositions spéciales applicables au domaine de l’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale
Au 1er septembre 2024, un certain nombre de dispositions complémentaires ont été introduites dans l’OS suite à un accord de branche entre santésuisse et curafutura[16].
Ces dispositions concernent le domaine de l’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale et apportent des précisions quant à l’établissement d’un procès-verbal après tout entretien-conseil et l’indemnisation des intermédiaires d’assurance.
En outre, en vertu de cet accord de branche, les entreprises d’assurances et leurs intermédiaires ont interdiction d’effectuer du démarchage téléphonique de prospects avec lesquels il n’existe aucune relation de clientèle, ou qui ne sont plus clients depuis plus de 36 mois, qui ont fait usage de l’opting-out ou pour lesquels le contact ne découle pas d’une recommandation d’un tiers connu du client potentiel.
V. CONCLUSION
L’année 2024 marque une modification profonde du paysage de l'intermédiation d’assurance en Suisse. Les révisions législatives de janvier 2024 dans une large mesure, puis celles de septembre, et enfin l’approbation des normes minimales par la FINMA, ont ainsi significativement renforcé l’encadrement de la surveillance des intermédiaires d’assurance et la garantie de standards de qualité, en particulier en ce qui concerne l’intermédiation non liée. Ceci permet notamment de renforcer la confiance des consommateurs dans les services d’intermédiation d’assurance.
Le législateur a posé des bases de cette surveillance accrue et offert la possibilité au secteur de s’autoréguler ainsi que de développer de son propre chef des accords de branche. Nous sommes de l’avis que ceci devrait favoriser le développement d’une règlementation plus pragmatique dans ce nouveau cadre règlementaire.
[1] L’Ordonnance sur la surveillance des entreprises d’assurance privées (OS).
[2] Art. 40 al. 1 LSA.
[3] Art. 1 al. 3 OS ; les exceptions sont indiquées à l’art. 1h OS.
[4] Selon l’art. 40 al. 2 LSA.
[5] Selon l’art. 40 al. 3 LSA.
[6] « Statut apparent d'intermédiaires en assurance non liés », art. 182b OS.
[7] Selon l’art. 45a LSA.
[8] Ces critères sont détaillés à l’art. 182c OS.
[9] Ces documents comprennent notamment un extrait du registre du commerce, extrait du registre des poursuites, une description des activités et assurances fournies, et diverses déclarations en lien avec les obligations organisationnelles et personnelles.
[10] Pour 2024, les frais d’enregistrement s’élèvent à CHF 350 pour les personnes physiques et à CHF 750 pour les personnes morales, et le montant de la taxe s’élève à CHF 475.
[11] Art. 188 al. 2 OS.
[12] En vertu des art. 190b OS et 93 OS-FINFMA.
[13] < https://www.finma.ch/fr/surveillance/versicherungsvermittler/ berichterstattung-an-die-finma/ >
[14] Rapport explicatif relatif à la modification de l'ordonnance sur la surveillance, publié par le Département Fédéral des Finances (DFF) le 2 juin 2023.
[15] Selon l’art.216c al. 7 OS.
[16] Voir l’Annexe 7 de l’OS.
Si vous avez des questions en lien avec ce bulletin, merci de contacter :