Droit de la construction : de nouvelles règles importantes pour les acquéreurs, constructeurs et promoteurs

13.09.2024

Real Estate 2

I. INTRODUCTION

Le 12 septembre 2024, le Conseil national s’est prononcé sur une réforme importante du droit de la construction. Ce projet de révision du droit de la vente et du contrat d’entreprise (Code des obligations) prévoit de renforcer la position des maîtres d’ouvrage et des acquéreurs d’immeubles (notamment des appartement ou villa vendus sur plan) en cas de défauts de construction.

Le projet de loi du Conseil fédéral prévoit de prolonger le délai pour signaler/aviser les défauts (apparents ou cachés) d’un immeuble (infra II). Plus novateur encore, il introduit un droit impératif à la réparation sans frais en faveur de l’acquéreur et du maître d’ouvrage lorsque l’objet du contrat est un bien immobilier destiné à un usage personnel ou familial (infra III). Ce nouveau droit aura pour effet de mettre fin aux pratiques contractuelles consistant pour un promoteur immobilier à exclure sa responsabilité en contrepartie de la cession à l’acquéreur ou au maître d’ouvrage de ses droits de garanties qu’il a contre ses sous-traitants. Très courantes dans les contrats conclus avec des particuliers, ces clauses qui exemptent entièrement le vendeur ou l’entreprise générale de sa responsabilité sont qualifiées par le Conseil fédéral de « douteuses et opaques ». Elles posent en effet de nombreux problèmes juridiques et empêchent souvent en pratique les particuliers d’obtenir la réparation des défauts par les entreprises ayant participé aux travaux.

La réforme apporte par ailleurs des précisions sur la notion de « sûretés suffisantes » à fournir par le propriétaire d’immeuble pour éviter l’inscription d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. Le nouveau droit prévoit que ces sûretés (p.ex. une garantie bancaire) devront couvrir le montant dû (créance alléguée de l’entrepreneur) et les intérêts moratoires pour une durée de dix ans. Cette nouvelle règle met fin à une incertitude qui empêchaient souvent en pratique la constitution de telles sûretés de substitution. Cette règle ayant été acceptée sans débat par l’Assemblée fédérale, elle ne sera pas discutée dans ce bulletin.

II. UN DELAI D'AVIS DES DEFAUTS PROLONGE

Le droit en vigueur

Selon le droit en vigueur, l’acheteur doit, pour pouvoir exercer ses droits de garanties, vérifier l’immeuble et aviser le vendeur des défauts découverts. S’agissant des contrats d’entreprise, le maître doit en faire de même avec l’ouvrage en avisant l’entrepreneur. Les défauts apparents doivent être signalés aussitôt la vérification terminée, et ceux qui ne l’étaient pas lors de la vérification (défauts cachés), aussitôt après leur découverte (avis sans délai). Le Tribunal fédéral considère que l’avis sans délai doit intervenir dans les sept jours et même dans un délai plus court si les « défauts sont tels qu’ils pourraient occasionner un dommage plus important en cas d’attente ». Le délai commence à courir lors de la découverte du défaut. Un défaut est considéré comme découvert lorsque l’acquéreur ou le maître à une connaissance telle qu’il peut établir un avis suffisamment étayé. Ils doivent désigner précisément chaque défaut et exprimer qu’ils ne reconnaissent pas l’immeuble acquis ou l’ouvrage livré comme conforme au contrat et qu’ils veulent engager la responsabilité de l’entrepreneur (respectivement du vendeur). Sans avis des défauts, l’immeuble ou l’ouvrage sont tenus pour acceptés et l’acheteur perd tous ses droits de garantie. C’est alors au propriétaire ou au maître de supporter lui-même les coûts d’élimination des défauts.

Ces règles sont de nature dispositive. Les parties peuvent prévoir contractuellement d’autres délais d’avis des défauts ou règles pour les vérifier puis les signaler. Il est ainsi fréquent que les parties à un contrat d’entreprise y intègrent la Norme SIA 118, qui prévoit des délais plus longs de dénonciation des défauts (deux ans) et la possibilité de faire valoir des défauts, quelle que soit leur nature, en tout temps pendant ce délai.

Les critiques : le délai actuel est trop bref

Il est unanimement reconnu que le délai d’avis des défauts prévu par le droit est trop bref. Les profanes ne sont souvent pas en mesure de reconnaître la portée juridique d’un défaut lorsqu’il apparaît et de procéder à un avis des défauts dont le contenu satisfait aux exigences en la matière. Selon le Conseil fédéral, les défauts cachés posent un problème supplémentaire car « ils apparaissent insidieusement, au fil des semaines ou des mois, et doivent subitement être signalés en l’espace de quelques jours ». Dans son message à l’attention du Parlement, le gouvernement rappelle que les règles topiques du contrat d’entreprise (notamment le devoir de signaler les défauts sans délai) ont été reprises du droit de la vente. Or, le délai d’avis des défauts très court avait été imaginé pour la vente de marchandises à distance et est en réalité difficilement transposable à des contrats concernant des immeubles ou des ouvrages.

La règle adoptée par le Parlement : un délai de 60 jours

Le Conseil fédéral propose d’étendre le délai pour dénoncer les défauts. Il propose un délai d’avis de 60 jours pour les défauts portant sur des ouvrages immobiliers, ainsi qu’en cas d’achat d’immeuble (il s’agit du délai prévu par le droit italien). Ce délai de 60 jours s’applique également aux défauts cachés ; il commence à courir au moment où ceux-ci sont découverts. Le Conseil des États s’est prononcé en faveur d’un délai de 60 jours. Il a précisé que les parties ne pourront pas prévoir contractuellement un délai plus court. Elles pourront toutefois continuer à prévoir des délais plus long (p.ex. le délai de deux ans prévu à l’art. 172 de la Norme SIA 118). Alors qu’en 2023 le Conseil national s’était prononcé en faveur d’une solution très généreuse en faveur des acquéreurs et maîtres d’ouvrage qui permettait de signaler les défauts en tout temps pendant le délai de prescription (5 ans), il s’est finalement rallié, le 12 septembre dernier, à la solution du Conseil des États (contre l’avis de sa Commission des affaires juridiques).  Le Parlement considère ainsi qu’un délai de 60 jours est adéquat : il permet un temps de réflexion suffisant et aux profanes de faire appel à des professionnels (juristes, avocats, etc.) en cas de doute sur la notion et portée juridique d’un défaut, ainsi que la marche à suivre pour procéder à l’avis des défauts.

III. UN DROIT IMPERATIF A LA REPARATION

Le droit en vigueur pour l’acquéreur et le maître d’ouvrage

L’acquéreur d’un immeuble dispose pour l’essentiel de deux droits légaux à la garantie : le droit à la réduction du prix qui permet d’obtenir une diminution du prix qui est fonction de la gravité des défauts constatés, et, en cas de défaut grave, le droit à la résolution du contrat, qui permet de restituer l’immeuble contre le remboursement du prix (art. 205 CO). L’acquéreur d’un immeuble ne dispose pas d’un droit à la réparation du bien immobilier acheté. Le maître d’ouvrage, pour sa part, dispose d’un droit à la réduction, à la résolution et à la réparation (art. 368 CO).

Le problème du droit en vigueur : la clause de cession des droits de garantie

Tant pour l’acheteur que pour le maître d’ouvrage le régime du droit à la garantie est de nature dispositive. Les contrats de vente d’appartements ou villas (sur plan) prévoient souvent une exclusion totale de la responsabilité du vendeur. En contrepartie, le vendeur cède à l’acheteur ses droits à la réparation des défauts contre les entrepreneurs ayant réalisé les travaux. En cas de défaut(s), une telle clause devrait en théorie permettre à l’acheteur d’obtenir directement des entreprises certaines prestations de garantie (réparation des défauts), voire le paiement de dommages-intérêts. En pratique, ces clauses de cession de droits posent de très nombreuses difficultés de mise en œuvre. Résultat : elles ne servent pour ainsi dire à rien.

La clause de cession des droits de garantie est d’abord pathologique car le Tribunal fédéral considère que les droits à la résolution du contrat et à la réduction du prix sont incessibles. Par conséquent, elle est inopérante concernant ces deux droits. Seul le droit à la réparation peut donc être cédé.

Ensuite, cette clause est pathologique car elle est de fait impraticable. A titre d’exemples, on peut citer les problèmes pratiques et juridiques suivants :

  • au lieu de pouvoir faire valoir ses droits contre un seul cocontractant (le vendeur/l’entrepreneur), l’acquéreur des droits est souvent obligé de se retourner contre plusieurs entrepreneurs pour faire supprimer les défauts. N’ayant pas les connaissances techniques nécessaires, il n’est fréquemment pas en mesure d’identifier les entreprises responsables de défauts complexes sans faire réaliser une expertise à ses frais. Par ailleurs, même si les entrepreneurs responsables des défauts sont identifiés, l’acquéreur supporte le risque de leur insolvabilité ;
  • l’ouvrage présente notamment un défaut lorsqu’il lui manque l’une des qualités convenues expressément ou tacitement entre les parties. Or, ce qui pourrait être un défaut pour l’acquéreur pourrait ne pas en être un pour le maître d’ouvrage-vendeur. L’existence d’un défaut sera en effet examinée à la lumière de contrats différents (contrat d’entreprise d’une part et contrat de vente de la part de PPE d’autre part) ;
  • quand est-ce que le délai de prescription de 5 ans commence à courir ; est-ce la date de livraison du bâtiment au maître d’ouvrage-vendeur ou celle de la livraison de l’immeuble à l’acquéreur qui est déterminante ?
  • le contrat d’entreprise entre le maître d’ouvrage-vendeur et les entrepreneurs peut prévoir des clauses de limitations de responsabilité des entrepreneurs qui seront opposables à l’acquéreur d’une part de PPE, ce qui peut limiter ses possibilités d’obtenir la réfection des défauts.

La solution discutée au Parlement : un droit impératif à la réfection des défauts

Le projet du Conseil fédéral prévoit une interdiction pour les acquéreurs et maîtres d’ouvrage de renoncer à leur droit à la réparation si la construction considérée est destinée à un usage personnel ou familial. Comme les clauses d’exonération se trouvent dans la pratique le plus souvent dans les contrats de vente, la modification législative proposée prévoit que « l’acheteur d’un immeuble qui comprend une construction devant encore être érigée ou ayant été érigée moins d’un an avant la vente peut de plus exiger que le vendeur répare les défauts à ses frais. Ce droit est soumis aux dispositions sur le contrat d’entreprise ».

Aussi, afin d’endiguer les problèmes inhérents à la pratique de la cession des droits de garantie, le Conseil fédéral propose (i) de rendre, à certaines conditions, le droit à la réparation impératif et (ii) d’étendre ce droit, toujours à certaines conditions, à la vente immobilière.

Le Conseil des États a adopté (avec quelques modifications mineures) la solution proposée par le Conseil fédéral. Le 12 septembre 2024, le Conseil national a, quant à lui, considérablement élargi la portée du projet en prévoyant que le droit impératif à la réfection doit s’appliquer à toute construction ou immeuble (et non plus uniquement si la construction ou l’immeuble est destiné(e) à un usage personnel ou familial). Etant donné qu’une divergence subsiste entre les deux Chambres, le projet sera à nouveau soumis et étudié en automne 2024 par la Commission des affaires juridiques du Conseil des États.

Quelle que soit la solution retenue (droit impératif à la réparation pour tous types de constructions [Conseil national] ou droit impératif à la réparation pour les constructions destinées à un usage personnel ou familial [Conseil des États]), cette modification législative devrait améliorer considérablement la situation des acquéreurs de biens immobiliers destinés à un usage personnel ou familial. Cette réforme aura également des conséquences très concrètes pour les promoteurs-vendeurs qui devront assumer cette nouvelle obligation (réparer les défauts). Etant donné qu’ils ne seront souvent plus en mesure de réparer eux-mêmes l’immeuble (p.ex. appartement ou villa) vendu, cette obligation sera avant tout une obligation d’assumer les frais de réparation et de remise en état.